mercredi 10 octobre 2012

Edward Hopper au Grand Palais : comment il a inspiré les cinéastes (Le Nouvel Observateur)

LE PLUS. Ce mercredi s'est ouverte au Grand Palais une rétrospective consacrée à Edward Hopper. Le clou du spectacle sera assurément l'archi-connu "Nighthawks, 1942". À cette occasion, notre contributrice Ursula Michel revient ses réalisateurs de cinéma qui ont retranscrit l'œuvre du peintre dans leurs films.

Par Ursula Michel, Le Plus - Nouvel Observateur, le 10-10-2012



Une femme regarde le tableau "Nighthawks, 1642" lors de la rétrospective Hopper au Grand Palais, le 8 octobre 2012 (MORI/SIPA).


Le peintre américain, à qui le Grand Palais consacre une immense rétrospective jusqu’en janvier 2013, n’a eu de cesse de rendre compte de son Amérique, des années 1930 jusqu’en 1967, année de sa mort.

Mais son travail, aussi réaliste soit-il, ne consistait pas en une reproduction fidèle de l’American Way of Life, mais plutôt en une vision subjective de ses clichés (station-service, diner, banlieue pavillonnaire…), que le cinéma s’est fait un plaisir de graver dans nos mémoires dès les années 1950, de son urbanisme tendant à l’individualisme, bref du versant du rêve américain. De nombreux cinéastes ont rendu hommage à l’artiste, autant dans la représentation de cette Amérique idéalisée en surface mais profondément rongée par la solitude et l’incommunicabilité.

Intimité volée

L’un des cinéastes à avoir perçu très tôt la pertinence des scènes de vie brossées par Hopper est un anglais du nom d’Alfred Hitchcock. Il s’en inspire pour "Psychose" (le tableau "House by the railroad" pour figurer la maison de Norman Bates) et surtout "Fenêtre sur cour" (1954).

Dans ce film, il se réapproprie l’obsession hopperienne du regard extérieur observant à la dérobée des personnages chez eux. De nombreux tableaux du peintre rendent en effet compte d’une intimité volée, épiée par un voyeur invisible (le spectateur), comme "Night Windows". Ces moments de vie entraperçus ont comme vertu de dévoiler ce que les codes sociaux masquent : la solitude, l’indifférence ou la nudité. Autant de pistes qu’Hitchcock explore lors d’une séquence entomologique, où les voisins du héros sont la cible de sa curiosité.


Fenêtre sur cour - Trailer

Peu de metteurs en scène ont, à l’image de Jim Jarmusch, travaillé le motif de la solitude des êtres. Dans "Stranger than Paradise", le réalisateur suit trois personnages inaptes à vivre ensemble. L’ennui le dispute à l’agacement, et la seule échappatoire possible pour les héros demeure l’isolement. Ce film est un écho formidable à la grande thématique de Hopper : la solitude.

Incommunicabilité

Quand ses tableaux ne sont pas désincarnés (paysage rural ou urbain déserté par l’homme), les figures qui les peuplent errent seuls, ou pire se partagent l’espace dans un silence assourdissant, sans un regard l’un pour l’autre. Cette incommunicabilité, le mal du siècle, pressentie par Hopper dès les années 1930, sert de cœur narratif à "Stranger than Paradise", mais elle irrigue toute la filmographie de Jarmusch, faisant certainement de lui le cinéaste le plus hopperien des dernières années.


Que ce soit pour les figures féminines toujours attentistes ou pour le décorum idéalement américain, Lynch doit beaucoup à Hopper. Les premières images de "Blue Velvet" (1986) jouent cette partition idyllique (de jolies maisons, des jardins fleuris…) pour mieux montrer que derrière la façade du bonheur américain, se jouent des tragédies, des événements étranges et inexplicables, les coulisses de l’American Dream en fait. Ce parti-pris, propre à Lynch dans les années 1980, trouvera chez Todd Haynes un nouveau souffle, avec "Loin du paradis" (2002) par exemple.

Parmi les cinéastes convertis à l’art de Hopper, Wim Wenders fait figure de favori. Le réalisateur allemand n’a jamais fait secret de son admiration pour le peintre américain ("j’ai montré son travail à tous les amis, surtout à mon chef opérateur de l’époque, Robby Müller, et on a pris Hopper pour modèle").

Tant et si bien qu’en 1997, il lui rend un mémorable hommage dans "The End of Violence". Il y recrée le dîner célèbre de "Nighthawks" et concrétise le fantasme absolu de tout amateur de cette toile : imaginer un contexte, créer un avant et un après. La magie de l’immobilisme de la peinture de Hopper (ces personnages comme suspendus dans le temps) est traduite par Wenders en une séquence magnifique, le plus bel hommage que le cinéma puisse rendre à la peinture.



End of Violence - Wim Wenders/Nighthawks - Edward Hopper

Mais la postérité de Hopper ne se joue pas que dans les musées et les salles obscures. Depuis quelques années, la pâte de l’artiste taille sa route jusque dans les salons de millions de téléspectateurs grâce à la série. "Desperate Housewives" et plus récemment "Mad Men" s’amusent à reconstituer l’ambiance des sixties, et Hopper y est indéfectiblement associé.

Si Jarmusch, Lynch, Hitchcock ou Wenders ont su retranscrire l’esthétique Hopper, ils ont surtout contribué à transmettre, au-delà de l’imagerie, les thématiques de son œuvre. La télé, média de masse, ne se contente que de puiser dans l’iconographie du maître, sans véritablement entrer dans son cœur. Dommage, mais vous pouvez toujours éteindre votre poste et courir découvrir ses toiles au Grand Palais.

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