Par Maurice Ulrich, L'Humanité, le 9 Octobre
Le Grand Palais, à Paris, consacre une exposition exceptionnelle
au peintre américain
de la solitude
assumée.
People in the Sun, c’est le titre de ce tableau, ci-dessus.
Des gens au soleil. Ils sont assis, l’un d’eux lit, les autres sont au
repos. La scène est banale. Pourtant, on dirait que quelque chose va
arriver. De cet horizon cru semble venir une menace. Nous sommes en
1960. Une explosion nucléaire, des extraterrestres ? En 1949, un de ses
tableaux sera retourné à la galerie par le collectionneur. Il a suspecté
dans l’œuvre un complot communiste. Au fond, chacune des peintures
d’Edward Hopper semble inciter à un récit. Ce sera le cas. Sa maison
solitaire au bord d’une voie ferrée sera celle du Psychose d’Hitchcock,
la lumière violente et blafarde de ses bars de nuit ou des ses stations
d’essence perdues au milieu de nulle part alimentera aussi l’imaginaire
des films noirs.
Une forme de résistance
Pourtant Hopper ne raconte rien. Si ce n’est, selon Didier Ottinger,
le commissaire de cette rare exposition (128 œuvres, tableaux et
gravures, ce qui est considérable au regard d’une œuvre somme toute peu
abondante), que ses personnages sont aussi des résistants. Hommes et
femmes de cette Amérique où triomphent la marchandise, la cohue de
fourmilières des grandes villes. Elles et eux sont là qui, en quelque
sorte, prennent leur temps. Ils sont là et nous dans cette solitude
assumée, dans cette lumière tranchante qui est comme l’autre face du
néant, à l’étrangeté de notre présence au monde. Cela ne vaut pas que
pour les personnages. Ses paysages urbains, découpés, nous laissent
comme interdits devant ce monde qui est censé être nôtre. Sa peinture
est philosophique. D’un autre côté, André Breton n’aura pas tort de
tenter, au vu de cette inquiétante étrangeté, un rapprochement entre
Hopper et le Chirico des débuts. Hopper n’est pas seulement un peintre
de l’Amérique.
Un peintre français...
Du reste, considéré comme l’un des plus américains des peintres
américains au même titre au fond que Pollock ou Warhol, Edward Hopper
fut aussi un peintre français. Né en 1882 dans l’État de New York, dans
une famille aisée, il s’intéresse très tôt à la peinture et au dessin et
va se former au sein de plusieurs institutions et avec le peintre
Robert Henri. Mais en 1906, 1908 et 1909, il effectue trois longs
séjours à Paris où il ignore les courants qui naissent pour adopter une
sorte de néo-impressionnisme.
Plusieurs de ses toiles de cette époque sont au Grand Palais et c’est
heureux car, en réalité, qu’il peigne le Louvre ou un quai de Seine, il
y déjà, là, une facture Hopper. Formes découpées dans un ciel intense.
Force d’un signal rouge sur la pierre d’un pont. Revenu aux États-Unis,
il vendra un tableau, en 1913, avant de vivre d’un travail
d’illustrateur. Il attendra plus d’une dizaine d’années que ses tableaux
commencent à se vendre. Installé à Greenwich Village il y résidera
jusqu’à la fin
de ses jours, ne peignant au total qu’une centaine de
tableaux. Il meurt en 1967. En 1960, il avait intitulé un tableau Excursion into Philosophy, ci-dessus. Un livre est ouvert sur le canapé qui serait le Banquet, de Platon.
Jusqu’au 28 janvier. Catalogue édité par la Réunion des musées nationaux. 368 pages. 45 euros.
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