mardi 9 octobre 2012

Edward Hopper, peintre philosophique (L'Humanité)

Par Maurice Ulrich, L'Humanité, le 9 Octobre

 
Le Grand Palais, à Paris, consacre une exposition exceptionnelle 
au peintre américain 
de la solitude
 assumée.  

People in the Sun, c’est le titre de ce tableau, ci-dessus. Des gens au soleil. Ils sont assis, l’un d’eux lit, les autres sont au repos. La scène est banale. Pourtant, on dirait que quelque chose va arriver. De cet horizon cru semble venir une menace. Nous sommes en 1960. Une explosion nucléaire, des extraterrestres ? En 1949, un de ses tableaux sera retourné à la galerie par le collectionneur. Il a suspecté dans l’œuvre un complot communiste. Au fond, chacune des peintures d’Edward Hopper semble inciter à un récit. Ce sera le cas. Sa maison solitaire au bord d’une voie ferrée sera celle du Psychose d’Hitchcock, la lumière violente et blafarde de ses bars de nuit ou des ses stations d’essence perdues au milieu de nulle part alimentera aussi l’imaginaire des films noirs.

Une forme de résistance
Pourtant Hopper ne raconte rien. Si ce n’est, selon Didier Ottinger, le commissaire de cette rare exposition (128 œuvres, tableaux et gravures, ce qui est considérable au regard d’une œuvre somme toute peu abondante), que ses personnages sont aussi des résistants. Hommes et femmes de cette Amérique où triomphent la marchandise, la cohue de fourmilières des grandes villes. Elles et eux sont là qui, en quelque sorte, prennent leur temps. Ils sont là et nous dans cette solitude assumée, dans cette lumière tranchante qui est comme l’autre face du néant, à l’étrangeté de notre présence au monde. Cela ne vaut pas que pour les personnages. Ses paysages urbains, découpés, nous laissent comme interdits devant ce monde qui est censé être nôtre. Sa peinture est philosophique. D’un autre côté, André Breton n’aura pas tort de tenter, au vu de cette inquiétante étrangeté, un rapprochement entre Hopper et le Chirico des débuts. Hopper n’est pas seulement un peintre de l’Amérique.

Un peintre français...
Du reste, considéré comme l’un des plus américains des peintres américains au même titre au fond que Pollock ou Warhol, Edward Hopper fut aussi un peintre français. Né en 1882 dans l’État de New York, dans une famille aisée, il s’intéresse très tôt à la peinture et au dessin et va se former au sein de plusieurs institutions et avec le peintre Robert Henri. Mais en 1906, 1908 et 1909, il effectue trois longs séjours à Paris où il ignore les courants qui naissent pour adopter une sorte de néo-impressionnisme.



Plusieurs de ses toiles de cette époque sont au Grand Palais et c’est heureux car, en réalité, qu’il peigne le Louvre ou un quai de Seine, il y déjà, là, une facture Hopper. Formes découpées dans un ciel intense. Force d’un signal rouge sur la pierre d’un pont. Revenu aux États-Unis, il vendra un tableau, en 1913, avant de vivre d’un travail d’illustrateur. Il attendra plus d’une dizaine d’années que ses tableaux commencent à se vendre. Installé à Greenwich Village il y résidera jusqu’à la fin 
de ses jours, ne peignant au total qu’une centaine de tableaux. Il meurt en 1967. En 1960, il avait intitulé un tableau Excursion into Philosophy, ci-dessus. Un livre est ouvert sur le canapé qui serait le Banquet, de Platon.

Jusqu’au 28 janvier. Catalogue édité par la Réunion des musées nationaux. 368 pages. 45 euros.

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