mardi 9 octobre 2012

Edward Hopper, le dernier géant (Le Parisien)

Une exposition est consacrée au maître américain, disparu en 1967. On découvre, grandeur nature, ses images rendues célèbres grâce aux cartes postales et affiches.

Source : Le Parisien - YVES JAEGLÉ | Publié le 09.10.2012, 04h57




C’est du jamais-vu, même pour Picasso. Des images devenues des icônes au point que l’on n’a même pas besoin d’y ajouter le nom de l’artiste. Cet été, lors de la première campagne d’affichage dans le métro annonçant la rétrospective Edward Hopper, qui ouvre demain au Grand Palais jusqu’au 28 janvier, la Réunion des musées nationaux a placardé « Nighthawks », son plus célèbre tableau (voir ci-contre), sans mentionner l’auteur.
Tout le monde a dans un coin de sa tête et de ses souvenirs cette image de film noir, dupliquée à l’infini sur des cartes postales, des affiches ou des couvertures de roman policier. Des gangsters dans la nuit. Ou tout ce que l’on veut imaginer à partir de ces silhouettes dans un bar. Edward Hopper (1882-1967) aurait eu l’idée du tableau après avoir vu un polar, « les Tueurs ». Tout le paradoxe d’un immense peintre qui a d’abord influencé les cinéastes dont il s’est lui-même nourri à l’âge d’or d’Hollywood, contemporain de sa propre carrière. Alfred Hitchcock, David Lynch ou Wim Wenders ont reconnu leur dette envers lui. Madonna a intitulé l’une de ses tournées « Girlie Show » en clin d’œil à l’une de ses peintures de strip-tease. Même Johnny Hallyday vient de lui consacrer une chanson.

Chaque tableau raconte une histoire, nous tend un miroir


S’il parle à tout le monde, « c’est parce qu’il fait vibrer la corde émotionnelle », résume Didier Ottinger, commissaire de l’exposition et auteur d’un Hopper (découverte Gallimard ) De son vivant, la peinture abstraite triomphait. L’art moderne périclitait. Quand Hopper débute, la star s’appelle Marcel Duchamp et son coup de maître est un urinoir… Tout l’opposé d’un peintre figuratif qui passe aujourd’hui pour le dernier des Mohicans, le dernier géant. Dont chaque tableau raconte une histoire. Et nous tend un miroir : on voit dans ces femmes esseulées dans des motels, ces employés las ou rêveurs, ce que l’on veut, ce que l’on est.

Ce qui lui a valu ce déferlement d’affiches et de couvertures avant même que ses tableaux ne voyagent à l’extérieur des Etats-Unis. « Au début des années 1980, on a mis des Hopper sur des livres de poche de Fitzgerald. Personne ne l’avait jamais fait en France et même aux Etats-Unis. Ses personnages, ses paysages sont très littéraires, comme la fille toute seule au bord du lit », se souvient l’éditrice Dominique Bourgois qui, avec son mari, Christian Bourgois, a été la pionnière du genre, imitée par de nombreux éditeurs. « Hopper a baigné dans la culture de masse, les couvertures de magazines. C’est son premier métier : dessiner dans les journaux pour le grand public. Il n’ignore rien des procédés qui attirent l’œil par la simplification des formes et des couleurs. Lorsqu’il devient peintre, il conserve ce sens de l’efficacité en cherchant à transmettre tout autre chose que le divertissement : l’intériorité », ajoute Emmanuel Pernoud, auteur de « Hopper : peindre l’attente » (Citadelles & Mazenod).

Attendre quoi? De s’en aller. Tous les personnages du peintre cherchent de l’air, regardent par la fenêtre. Hopper, qui a acheté sa première voiture en 1927, partait sur les routes et se servait du siège arrière comme atelier mobile. Il peint la mythologie d’une Amérique en train de disparaître, celle des derniers grands espaces parcourus par des locomotives bientôt hors d’usage, comme celles que l’on voyait dans les westerns. Toujours le cinéma. Il y allait assidûment, comme au théâtre. Il lisait tout le temps et connaissait par cœur plusieurs poèmes de Verlaine. Ses personnages s’évadent dans leurs songes en attendant de servir le prochain client à la station-service. C’est ça Hopper, ses petits sujets, sa petite musique : une femme seule devant son café, un clown encore maquillé qui fume une cigarette après le show. Tous ces temps morts dont il peint la vie intérieure, profonde et mystérieuse.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire