mercredi 10 octobre 2012

Hopper est-il irrésistible ? (Evène)

On vous le répète partout : la rétrospective que le Grand Palais consacre au peintre américain Edward Hopper (1882 – 1967) est l’Événement à ne pas manquer. On a bien tenté de jouer les avocats du diable pour éviter une longue file d’attente. En vain…

Par Par Maxime Rovere - Evène - Le 10/10/2012

1. Une expo à mémères ?

L'escalier de la rue de Lille, 1906Difficile de le nier, les expositions du Grand Palais soulèvent l’enthousiasme des visiteurs du troisième âge, pour qui l’art est aussi l’occasion de se faire une tea party. Néanmoins, pour cette fois-ci, l’inconvénient peut facilement être contourné. Car en dehors des toiles célébrissimes que les visiteurs ne semblent approcher que pour les prendre en photo (Nighthawks ou New York Office), les foules négligent bien d’autres œuvres de l’exposition pourtant renversantes de beauté. Ainsi des petites toiles de 1906. À cette époque, le jeune Hopper séjourne à Paris et commence à peindre positivement n’importe quoi : la Cour intérieure du 48 rue de Lille ou L’escalier à la même adresse. Un cadrage étrange, une lumière unique, et ces non-sujets témoignent bientôt avec éclat qu’il peut transformer le quotidien en féérie statique. Quelques années plus tard, l’artiste se rattachera à la Ashcan School (littéralement « l’école des poubelles »), mouvement de peintres réalistes américains. En quelque sorte, des punks silencieux. Tout le contraire des mamies…

2. Marre de l’Amérique ?

Edward Hopper a ainsi donné à l’Amérique une esthétique dont, sans lui, elle aurait cruellement manqué. Impossible en particulier de dire tout ce que les « fifties » doivent à sa manière de rendre les couleurs de cette époque. Mais justement, peut-être en avez-vous assez de l’esthétique « rétro » américaine ? Consolez-vous. D’une part, l’exposition montre habilement que l’artiste s’est d’abord inspiré de ce que l’Europe avait fait de meilleur – notamment de l’art de Valloton ou de Degas, dont le Bureau de coton à la Nouvelle-Orléans (1873) est une découverte troublante. D’autre part, le pinceau de Hopper, une fois émancipé, est à double tranchant : l’immobilité des scènes ou le silence des bâtiments déserts minent discrètement le calme apparent. Même la lumière du soleil se teinte d’une splendeur bizarre. Son autre source d’inspiration ? Les photographies de Mathew Brady (1823 – 1896) qu’il contemplait avec extase dans les douze tomes d’une Histoire de la guerre de Sécession offerts par sa femme. Elles montrent que l’Amérique que peint Hopper est un pays qui doute. Profond comme Cézanne, patient comme Matisse, ce peintre-là est un  Van Gogh qui bout intérieurement. Quitte, à l’occasion, à peindre un colley qui flaire l’air parmi les herbes (Cape Cod Evening, 1939). On ne se refait pas. En plus, c’est magnifique.

3. Trop de consensus sur les artistes stars ?

Alors bien sûr, rien n’est plus agaçant que de voir tout le monde d’accord, même si c’est pour chanter le génie de Hopper. Il y a certainement là l’effet d’un star-system qui isole les artistes de leur contexte et cherche à établir une rupture assez artificielle entre le « génie » d’un homme et le labeur des autres. Mais à cela, il n’y a qu’une parade : il faut connaître tout le monde. Or, les toiles de Hopper, massivement conservées aux États-Unis, sont rarement exposées en Europe (En France, le peintre ne l’avait pas été depuis 2008, c’était à Giverny). Par conséquent, il faut d’abord aller les voir ; vous pourrez ensuite regretter, pour épater la société, que le Grand Palais n’ait pas eu l’audace d’une expo croisée Hopper/Hammershoi. Les intérieurs immobiles, totalement métaphysiques, de ce peintre danois méconnu auraient pu dialoguer génialement avec vitrines de Hopper. Mais ça, personne n’en parle.

4. La déferlante des produits dérivés.

Puisque donc vous irez malgré votre mauvaise tête, garderez-vous votre calme en sacrifiant au rituel de l’ « exit through the gift shop » (« sortie par la boutique de cadeaux », selon le titre du film du street artist  Banksy) ? Car, plus que jamais, la Réunion des Musées Nationaux se livre avec Hopper à une offensive marketing quasi sans précédent. En plus du catalogue « classique », cartes et autres magnets, les éditions de la RMN proposent encore un ouvrage collectif d’historiens de l’art (Relire Hopper – plein de fines analyses) et un mini-catalogue qui restitue les œuvres et les cartels de l’exposition dans le même ordre, en petit format. Faut-il l’avouer ? C’est plutôt agréable. Et les éditions Prisma, en proposant les variantes dessinées que Hopper faisait de ses propres tableaux, prolongent l’expo par de nouvelles perspectives. Après, c’est entendu, vous passerez à autre chose. En attendant, ne laissez pas passer cette chance. La lumière de Hopper, bien qu’éternelle, passe vite.

Exposition Edward Hopper, du
10 octobre 2012 au 28 janvier 2013 au
Grand Palais

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